Vous avez forcément entendu parler des plus connues : Yuka, QuelCosmetic ou encore INCI Beauty. Vous les avez même peut-être déjà utilisées ?
Ces applications qui scannent nos cosmétiques se vantent d’apporter une certaine transparence aux consommateurs sur les ingrédients utilisés dans tel ou tel produit. Dans un contexte de prise de conscience de la dangerosité de ce que peuvent contenir les cosmétiques, aujourd’hui beaucoup de personnes se fient à leurs analyses. Mais sont-elles fondées ? Sur quoi se basent-elles ?

Yuka

Commençons par Yuka. Leur site internet tout comme leur application sont parfaitement bien faits. Avec Yuka, Les ingrédients sont classés en quatre catégories de risque en fonction de leurs effets potentiels ou avérés sur la santé : sans risque (pastille verte), risque faible (pastille jaune), risque modéré (pastille orange) et risque élevé (pastille rouge). A savoir que la note globale du cosmétique dépend de la catégorie de l’ingrédient avec le plus haut niveau de risque présent -si on a ne serait-ce qu’un ingrédient avec pastille rouge le cosmétique sera automatiquement considéré comme à risque élevé-
Pour placer les ingrédients dans les différentes catégories, Yuka a recourt à de nombreuses sources dont des instances officielles, des bases de données scientifiques et des études scientifiques indépendantes.
Yuka s’appuie énormément sur le principe de précaution : dès qu’un ingrédient est sujet à controverse, un malus lui est appliqué. Leurs évaluations sont donc très strictes de manière générale -ils le reconnaissent- mais ils indiquent recommander des produits similaires meilleurs pour la santé pour tous les produits ayant une évaluation négative. A ce jour, Yuka revendique que 200 000 produits cosmétiques ont été référencés et analysés.

L’exemple : la crème mains & ongles Roses et reines L’Occitane

L’analyse

Produit : médiocre. Note obtenue : 37/100.

– Le Salicylate de benzyle est classé en risque modéré (orange) du fait de ses effets perturbateur endocrinien potentiel et allergène. Pour ce qui est du potentiel allergène je vous donne mon point de vue dans le paragraphe suivant. Pour ce qui est des effets perturbateur endocrinien potentiel pour l’heure ces effets n’ont aucun cadre législatif : il n’existe pas de liste de perturbateurs endocriniens avérés ni même de critères ou de méthodes d’évaluation de référence. Ce sont donc de simples suppositions.
– Le Linalol (tout comme les autres allergènes présents ici -Alpha-isomethyl Ionone, Citronellol et Geraniol- sauf le Salicylate de benzyle déjà classé orange) que l’on retrouve dans la liste des 26 allergènes contenus dans les bases parfumées établie par le CSSC (Comité Scientifique européen pour la Sécurité des Consommateurs) est classé en risque faible du fait de son potentiel allergène. Cependant nous ne sommes pas tous allergiques aux mêmes choses, pourquoi vouloir éviter les substances que nous ne craignons pas dans ce cas ? C’est comme si je vous disais de ne pas manger de fruits de mer car certaines personnes y sont allergiques. Le côté allergisant d’un cosmétique est très personnel et deux personnes différentes exposées à une même substance ne réagiront pas forcément de la même manière.
– Le Ceteareth-33, un agent nettoyant non soumis à restriction ou conditions d’emploi, est classé en risque faible car irritant. Or -et c’est bien écrit sur le texte qui s’ouvre quand on clique dessus sur l’application- il ne présente pas de réel danger pour la santé mais peut avoir des effets irritants lorsqu’utilisé en grande quantité. C’est totalement invraisemblable de le classer comme tel sachant que l’application n’a aucun moyen de savoir la concentration exacte en ce fameux ingrédient -je vous explique mieux pourquoi un peu plus bas-. On nous dit aussi que des résidus d’oxyde d’éthylène peuvent être retrouvés dans cet ingrédient et que même si c’est réglementé -et donc strictement vérifié- il peut rester des traces sous formes d’impureté. Alors, pour vous donner un exemple, on parle couramment de « trace » lorsque l’on se situe en dessous du seuil de 10 ppm soit 0,001 %. Alors oui, bien sûr qu’il est possible qu’il y ait des traces, mais des impuretés il y en a partout de façon non maîtrisée et avec cette logique tout -ou presque- est potentiellement dangereux !
– L’Huile de rose de Damas, huile essentielle utilisée comme agent parfumant est ici classée en risque faible car allergène. Toutes les huiles essentielles ont un potentiel allergène alors pourquoi pas la classer comme telle. Là où il n’y a pas de logique c’est que l’on retrouve l’ingrédient Parfum classé sans risque alors que c’est la même problématique : le Parfum contient très souvent au moins une des substances de la liste des 26 allergènes -même si Yuka n’a aucun moyen de le vérifier car cela fait partie du « secret de fabrication » du cosmétique-

Aucune alternative n’est proposée pour cette crème.

QuelCosmetic

Les résultats sont présentés sous forme de catégories de populations : tout-petits (0-3 ans), femmes enceintes, enfants et adolescents (3-16 ans) et adultes. Pour chaque catégorie la couleur peut être verte (A) pour aucun risque identifié à ce jour, jaune (B) pour risque limité, orange (C) pour risque moyen et rouge (D) pour risque significatif.
A ce jour QuelCosmetic compte plus de 120 000 références et précise que les ingrédients sont classés en indésirables seulement si des études solides montrent sans ambiguïté leur nocivité. L’application d’UFC Que choisir insiste bien sur le fait qu’elle n’a pas vocation à évaluer ou comparer les produits mais plus à informer les consommateurs sur les ingrédients utilisés.

L’exemple : la crème mains & ongles Roses et reines L’Occitane

L’analyse

Note obtenue : A (pour toutes les catégories de populations).

On nous indique et nous liste la présence d’allergènes : Alpha-isomethyl Ionone, Citronellol, Geraniol, Linalol et Salicylate de Benzyle et lorsque l’on clique sur l’un d’entre eux on nous explique les grandes lignes de la réglementation et nous donne certaines informations. On retrouve bien le côté informatif vis-à-vis du consommateur plutôt que l’évaluation et la notation. Pour ce qui est du reste des ingrédients, on les voit placés à côté d’un pouce vert lorsque l’on déroule la composition mais on ne peut pas cliquer dessus pour en savoir plus.

L’analyse reste somme toute très simple, il n’y a pas de commentaire spécial dans la case réservée à « l’expert Que choisir » néanmoins on nous propose de voir la liste des autres crèmes mains sans risque.

INCI Beauty

INCI Beauty est une application développée par deux élèves ingénieurs en chimie. Au premier coup d’œil peu d’informations et d’explications sont disponibles sur leur site internet contrairement aux deux applications précédentes. On nous dit simplement que l’on peut scanner un produit et consulter la liste des ingrédients qui le compose, s’informer sur un composant grâce à sa description, son appartenance aux différentes familles, son niveau de dangerosité ou de ses effets potentiellement indésirables sur l’Homme et la nature, etc -sans plus de détail- et trouver une alternative meilleure à nos produits. L’application propose aussi des classements de produits les mieux notés par catégories.
Il faut se rendre sur leur blog pour lire que leur système intègre deux niveaux de notation, le premier se référant aux ingrédients purs et durs et le second au contexte dans lequel ils sont utilisés. Pour le premier niveau on nous dit que chaque composant cosmétique d’un produit est scrupuleusement étudié et noté suivant son origine et sa fonction. Comme pour Yuka et QuelCosmetic, on va retrouver une couleur selon le niveau de dangerosité établi : très correct (fleur verte), réglementé ou potentiellement irritant (fleur jaune), issu de la pétrochimie avec impact écologique (fleur orange) et controversé et à risque direct sur la santé (fleur rouge). On nous dit qu’ensuite la note peut être favorisée ou pénalisée par rapport au nombre de fleurs d’une certaine couleur ainsi qu’au mix de certains ingrédients. Au final on se retrouve aussi avec une note sur 20 et on ne sait pas vraiment d’où elle sort !

L’exemple : la crème mains & ongles Roses et reines L’Occitane

L’analyse

Produit : satisfaisant. Note obtenue : 11,1/20.

La majorité des ingrédients sont indiqué comme « bien », neuf sont simplement « satisfaisants » et on retrouve quand même quatre ingrédients « pas terribles ». Commençons par détailler ces derniers :
– La Chlorphenesine, agent conservateur anti-microbien autorisé dans les cosmétiques à hauteur de 0,3%, est ici mal notée car elle pourrait causer des irritations. Il est cependant écrit noir sur blanc que celles-ci seraient toutefois assez rares et légères dans les concentrations réglementées. Il faut savoir que l’annexe V du règlement cosmétique autorise 57 conservateurs validés par l’Europe (avec leur seuil associé) et pas un de plus. Les fabricants ne sont pas autorisés à sortir de cette liste. Le classement médiocre est donc justifié par l’application par le fait que l’ingrédient est peu écologique à fabriquer -rien à voir avec ces fameuses irritations avancées, mais purement une question environnementale au final-
– Le Ceteareth-33, toujours ce fameux agent nettoyant non soumis à restriction ou conditions d’emploi, est mal noté mais sans que l’on sache vraiment pourquoi. Il est juste indiqué que c’est un composé éthoxylé (j’en déduis -car il n’y a pas plus de détail- que l’on se retrouve dans la même problématique que Yuka avec cette histoire d’impuretés que je vous ai expliqué) et un dérivé possible de l’huile de palme, je pense donc que c’est en plus -comme le point précédent- une problématique environnementale qui justifie cette « mauvaise note ».
– Le Polysorbate 60, agent émulsifiant (qui favorise le mélange de deux produits qui ne se mélangent pas en conditions normales -comme l’eau et l’huile-), est indiqué comme composé éthoxylé (toujours cette histoire d’impuretés alors ?!) et en fabrication polluante (on est repartis sur la problématique environnementale).
– L’Hydroxyethyl acrylate/sodium acryloyldimethyl Taurate Copolymer, stabilisateur d’émulsion, est indiqué comme composé éthoxylé (une nouvelle fois !) et polymère de synthèse.

Pour les ingrédients « satisfaisants » on retrouve les cinq allergènes -Alpha-isomethyl Ionone, Citronellol, Geraniol, Linalol et Salicylate de benzyle-, le Parfum avec comme logique celle que je vous donnais plus haut à savoir le fait que des molécules allergisantes peuvent se trouver à l’intérieur, le Sodium Benzoate qui est un conservateur bien réglementé et d’ailleurs naturellement présent dans certains fruits, le Caprylyl Glycol qui est un adoucissant de la peau et que l’on retrouve dans le lait de certains mammifères et enfin le colorant CI 77491.

Pour ce produit différentes alternatives sont proposées, il est possible de laisser des commentaires -il n’y en a pas à l’heure où j’écris ces lignes-, et on nous propose des sites -au moyen de liens d’affiliation- où acheter le produit.

Conclusion

Afin que vous puissiez vous rendre compte des différences que l’on peut retrouver pour le même produit (ici la crème mains & ongles Roses et reines L’Occitane) lorsqu’on le scanne sur les trois applications j’ai résumé dans un tableau les ingrédients pour lesquels c’est le plus marquant. A plusieurs reprises des contradictions frappantes apparaissent.

Pour justifier ces différences plusieurs explications. Pour commencer, les trois applications n’utilisent pas les mêmes sources pour classer les ingrédients. Or, il arrive parfois que l’on manque de données scientifiques ou même que les études disponibles se contredisent. Ensuite, l’impact sur l’environnement n’est pas pris en compte dans les trois applications -et s’il est pris en compte ce n’est parfois pas à même niveau d’importance-. Même problème avec le bio, parfois il est appliqué un « bonus » comme on peut le voir sur les captures d’écran d’INCI Beauty « Bonus si présent dans les huiles essentielles bio » -même si bio ne veut pas forcément dire meilleur pour la santé !-

En plus de cela plusieurs facteurs sont sources d’erreurs, je vais vous lister ceux auxquels je pense mais je suis persuadée que l’on peut en trouver d’autres :
Le code barre ne change pas lorsqu’un produit subit un changement de formule. On peut donc vite se retrouver avec la mauvaise formule décortiquée. S’ajoute à cela les possibles erreurs de saisies des ingrédients dans les applications. Autre problème : l’analyse se base sur la présence d’ingrédients et l’utilisation du produit n’est bien souvent pas prise en compte. Je m’explique… Une crème pour les mains -comme dans mon exemple- ne sera pas rincée, on y sera donc exposé relativement longtemps mais sur une zone restreinte ; un gel douche, lui, sera rincé presque immédiatement après application mais tout notre corps y sera exposé. Impossible donc de les ranger raisonnablement dans les mêmes cases !

Aussi, il faut garder en tête que toutes ces applications n’ont pas accès aux formules exactes et donc les quantités exactes de chaque ingrédient ne peuvent pas être prises en compte. En effet, la liste des ingrédients sur un produit cosmétique est exhaustive et par ordre décroissant -le premier ingrédient est donc le plus présent dans la formule- mais sans aucune indication précise sur les concentrations et sous la barre des 1% le fabricant n’a plus l’obligation de respecter l’ordre de concentration. Comment peut-on alors affirmer la dangerosité d’un ingrédient ? La plupart des substances auront un effet négatif à partir d’une certaine concentration. Paracelse disait d’ailleurs « Tout est poison rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison » et je vais vous faire deux exemples très simples pour que vous compreniez l’idée. Vous risquez de mourir si vous ingérez plus de 8,3 litres d’eau par jour, pourtant personne ne viendra jamais vous dire que l’eau est dangereuse et elle ne sera jamais classée comme telle. Au contraire, l’arsenic, qui est connu comme étant un poison très dangereux peut être utilisé à très faible dose pour traiter une forme de leucémie !

Pour terminer je dirais que le côté informatif de ces applications est intéressant, cependant il est risqué de prendre comme unique référence leurs résultats. N’oublions pas qu’outre les ingrédients il est aussi question de dosage et d’interactions et les fabricants de cosmétiques ont une réglementation à suivre qui évolue au fil des recherches -l’Union Européenne a la réglementation la plus stricte du monde en la matière-

Le conseil que je peux vous donner -et que je donne dès que j’en ai l’occasion- est de changer de produit/de marque de façon régulière afin d’éviter une exposition chronique à tel ou tel ingrédient qui pourrait présenter un risque -et c’est valable pour tout, même l’alimentation !-


Sources : Cosmebio, Cosmed, Courrier international, Febea, INCI Beauty, QuelCosmetic, Use of arsenic trioxide in the treatment of acute promyelocytic leukemia – Zhi-Xiang Shen et al., Yuka.

20 commentaires sur “ Les applications qui scannent nos cosmétiques ”

  1. J’ai vraiment apprécié la lecture très instructive de votre article !
    Très bon travail, j’ai hâte de lire le prochain.

  2. Bravo pour cet article très complet ! Bravo également pour avoir pris l’initiative de faire ce site qui va aider beaucoup de gens. J’ai moi-même fait Polytech’Nice – je reconnais d’ailleurs nos cours de tox avec la citation de Paracelse 😉 – et je travaille depuis en cosmétique et compléments alimentaires et je dois dire qu’un site comme cela manquait à notre profession.

    Bon courage pour la suite ! =)

    1. Ce fameux Paracelse ! Ton commentaire me fait très plaisir, vraiment, c’est super de savoir que tu seras au rendez-vous pour la suite. Merci à toi

  3. Merci pour cet article très bien construit et très clair. En tant que formulatrice en cosmétique, ça fait du bien de lire quelqu’un qui mène ce combat pour éclairer les consommateurs un peu perdu avec toutes ces informations et contradictions. Bravo et bonne continuation, hâte de lire la suite !

    1. C’est un très beau compliment venant d’une formulatrice en cosmétique. Votre enthousiasme débordant me laisse penser que j’ai fait le bon choix de me lancer dans cette aventure alors merci !

  4. Un super article sur ce qui est devenue une tendance. Il ne faut pas prendre pour acquis tout ce que l on nous dit, il vaut mieux se renseigner et comparer en effet. Ton article est très complet et utile.
    Adeline du blog Mes Idées Naturelles

    1. C’est très gentil Adeline merci ! Effectivement, se renseigner, vérifier ses sources et comparer, tu as tout à fait raison c’est important même si ça prend plus de temps que s’arrêter sur la première information venue

  5. Bonjour,
    J’utilise l’app Clean Beauty, l’objectif est surtout de savoir ce que veulent dire tous ces mots savants que sont les ingrédients. Elle fonctionne un peu différemment de Yuca c’est à dire qu’il faut photographier les composants et pas scanner le code barre. De ce fait en cas de changement d’ingrédients les informations sont actualisées. Je vous rejoins que tout dépend du % et surtout de l’usage (j’ai beaucoup aimé votre image sur l’eau et l’arsenic). Connaissez-vous cette application ? Avez-vous une appréciation de celle-ci ?

    1. Bonjour Laure, lorsque j’ai décidé d’écrire sur ces applications je les ai toutes téléchargées sur mon téléphone. Par toutes j’entends Yuka, QuelCosmetic, INCI Beauty, Clean Beauty, CompoScan, Open Beauty Facts et CosmEthics. Je les ai toutes essayé, les ai comparé et ai décidé de parler en détail des trois premières de ma liste : les plus développées, téléchargées et donc les plus utilisées.
      De ce fait j’ai bien un avis sur Clean Beauty.
      J’ai trouvé intéressant le côté très informatif qui ressort des résultats avec l’absence de jugement si l’on peut appeler ça comme ça. On retrouve notamment des explications sur les ingrédients controversés et sur les allergènes.
      Vous le dites bien : l’application se base sur une photo que l’on prend des ingrédients et non sur le code barre. Effectivement cela nous évite le fameux problème de changement d’ingrédients sans changement de code barre. Mais nous sommes confrontés à un autre problème : comment être sûr que tous les ingrédients sont bien pris en compte ? On se base ici sur une photo que l’utilisateur prend « en direct ». Pour vous donner un exemple, avec la crème mains prise comme référence dans cet article, de part son conditionnement, la photo de tous les ingrédients était tout simplement impossible à faire en une fois…
      J’ai ensuite essayé avec un autre produit au packaging simple et plat et cette fois encore tous les ingrédients n’étaient pas détectés car tous les allergènes n’apparaissaient pas dans l’analyse… Attention donc !

  6. super intéressant !! merci beaucoup pour cette prise de recul, difficile de s’y retrouver, un peu de bon sens et de bonnes infos ne font pas de mal 😊👍🏼

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